Vincent Giolito (EM Lyon) : « Les entreprises digitalisées font aussi des erreurs »
Rater sa transformation numérique peut avoir de lourdes conséquences. Vincent Giolito, professeur de stratégie à l’EM Lyon business school, publie Les 16 plus belles erreurs de la transformation numérique (Eyrolles). [Cet article a initialement été publié dans OUR(S) la revue #3]
Quand on évoque des erreurs funestes face à la transformation numérique, Kodak et Nokia viennent tout de suite à l’esprit. C’est donc une question d’inadaptation face à une nouvelle culture du numérique ?
Ce sont des cas lointains et anciens… Plus près de nous, les cas de Viadeo et Dailymotion sont des exemples plus intéressants. Ils avaient un service qui répondait à une demande naissante, mais ils ont raté leur globalisation en voulant rester trop français. Ces entreprises ne sont que l’ombre de ce qu’elles auraient pu être. Le géant IBM a aussi beaucoup perdu de sa superbe alors que c’était l’entreprise digitale mondialisée par excellence.
Faites-vous la distinction entre l’erreur et l’échec dans votre livre ?
Le point qui sous-tend mes recherches, c’est que les organisations font des erreurs, même si ceux qui y travaillent font bien leur boulot. Par exemple, le Boeing 737 Max est un échec humain (il y a eu 346 morts dans deux accidents) et financier énorme. Le constructeur américain a voulu moderniser, avec des logiciels, un avion conçu dans les années 1960 en modifiant les moteurs, trop lourds et positionnés trop bas. En fait ils ont pensé que le numérique pourrait résoudre tous les problèmes. C’est le rôle des managers de repérer que l’organisation fait fausse route, mais l’inertie fait qu’il est difficile de corriger la trajectoire d’une organisation.
Y a-t-il une recette pour éviter les erreurs dans sa transformation digitale ?
Il y a dans la Silicon Valley une culture de l’erreur très différente de celle du reste des États-Unis ou de celle des industriels en France, chez qui les décisions sont prises en haut et descendent jusqu’en bas de l’échelle. Or les gens qui ont les mains dans le cambouis font partie du processus. Ils ont des choses à partager sur l’expérience des clients.
Dans la presse en France, il y a le syndrome de la nouvelle formule. On change tout, ça coûte généralement cher, et on voit si ça marche ou pas. Les Anglo-saxons sont plus pragmatiques : les équipes procèdent par petites touches. Le changement incrémental se fait peu à peu et permet de corriger ce qui ne donne pas satisfaction.
Avez-vous un exemple, dans l’actualité récente, d’une erreur bien comprise et corrigée ?
Oui, en France, peut-être la reconnaissance que la première application StopCovid conduisait à une impasse, avec le remplacement par TousAntiCovid. Le résultat reste à voir… Ailleurs, la contre-offensive de Microsoft dans les solutions de collaboration est remarquable. Ils ont compris que leurs outils n’étaient plus en phase avec le marché, et ils ont lancé puis enrichi leur système Teams en s’appuyant sur les besoins des utilisateurs. Cela leur permet non seulement de se défendre, mais de regagner du terrain sur les start-up Slack et Zoom. Compte tenu de la taille de Microsoft, c’est remarquable.