Bruno Tallent, des grandes agences aux grandes écoles
Après une carrière dans le monde des agences, Bruno Tallent est passé « de l’autre côté ». Il a pris en novembre la tête de la stratégie de marque, du marketing et de la communication de l’EM Lyon, dont il a usé les bancs il y a plus de 30 ans. Un pas de côté qui élargit sa vision du monde de la communication. [Ce portrait a été initialement publié dans OUR(S) la revue #3]
Bruno Tallent est membre du jury des OUR(S) de la com.
Il doit parfois se reprendre. « C’est vrai que je suis maintenant du côté des annonceurs. » Et pour cause, il entame sa première année à la direction de la stratégie de marque, marketing et communication de l’EM Lyon après toute une carrière passée dans de grands groupes publicitaires. Bruno Tallent se met toutefois rapidement dans sa nouvelle posture, avec un oeil critique sans concession pour le monde des agences qu’il connaît si bien.
Rencontre avec Jean-Marie Dru
Ce Toulonnais d’origine, que la passion du ballon ovale n’a jamais quitté, a découvert sa vocation à l’EM Lyon, justement. Président de la Junior Entreprise de l’école pendant son master en Sciences & Management, sa rencontre avec Jean-Marie Dru, le premier D de la fameuse agence des années 1980 BDDP et inventeur de la disruption, le marque profondément. Déjà orienté vers le marketing et la communication internationale, il met d’ailleurs un pied dans l’agence de son mentor pour un stage, et la rejoint finalement pour son premier job.
Après un petit tour chez Havas et Leo Burnett, il retourne dans le giron de Jean-Marie Dru, devenu TBWA, où il passera 15 ans. D’abord en tant que directeur de marque, puis directeur du développement du groupe, vice-président et enfin créateur et CEO de Being, agence de TBWA. Débauché par l’Américain McCann, il prend la tête de la filiale française, avec l’ambition de rebooster sa dynamique et son image. Se présente alors un tournant dans sa carrière.
« Cela faisait quelque temps que j’y réfléchissais ; j’ai démarré très tôt dans le métier, après 30 ans j’avais envie de donner un autre sens àmon métier. »
Transmettre à la nouvelle génération
Avec quatre grands-parents enseignants, il a toujours été fasciné par le monde de l’éducation.
« Mes grands-parents m’ont transmis des valeurs républicaines, et sans doute le goût pour l’innovation, quand on sait que mon grand-père était instituteur dans l’école dont ma grand-mère était la directrice… Dans ma carrière, j’ai toujours été tourné vers la transmission. La dimension humaine est très importante dans les agences. Je suis fasciné par la nouvelle génération. Elle nous apprend autant que nous lui apprenons. »
La rencontre avec Isabelle Huault, nouvelle présidente du directoire de l’EM Lyon, fait basculer son choix. Retour à Lyon, donc, où il a des attaches fortes.
« Cette nouvelle gouvernance m’a donné envie de m’impliquer dans mon ancienne école. J’y suis arrivé très jeune, à 18 ans, j’y ai passé mes premières années de jeune adulte, y ai rencontré mes meilleurs amis. Je n’aurais peut-être pas dit oui à une autre école ! »
Il souligne également la voie choisie par l’école, avant-gardiste et innovante, qui porte en elle la singularité de la culture lyonnaise. S’il trouve intéressant d’être passé de l’autre côté, il ne se considère toutefois pas comme un « client ».
« Je ne suis pas sûr que j’aurais accepté d’être directeur marketing dans une entreprise privée. Les grandes écoles ne sont pas des entreprises comme les autres. »
Observateur de l’évolution des relations agences-annonceurs
Cette nouvelle étape dans sa carrière lui permet quand même de faire un pas de côté pour observer le monde duquel il vient. En 30 ans, il a vu la tension s’accroître du côté des agences. Parmi les messages le félicitant pour son arrivée à l’EM Lyon, il croit même déceler une pointe d’envie parmi certains de ses anciens confrères. Un signe.
« Les moyens ont diminué, et en même temps le niveau de service attendu par le client n’a jamais été aussi élevé et complexe. »
Une tension qu’il explique aussi par l’explosion du digital et les difficultés rencontrées par les directeurs marketing en interne, qui ont rapidement été perçus comme une structure de coût, tout en étant incapables de quantifier leurs actions. « Le directeur marketing s’est retrouvé challengé en interne, et ses prestataires ont subi le même revers. »
Mais Bruno Tallent souligne aussi la responsabilité des agences, qui ne se sont pas serré les coudes pour défendre leurs qualités et ont instauré une paupérisation du métier.
« Le manque de quantification du ROI de la communication et du marketing a été le point d’inflexion, selon moi. Quand vous n’êtes qu’une dépense, sans pouvoir quantifier ce que vous apportez, les annonceurs font vite le choix. La relation entre agences et annonceurs s’est déshumanisée dans ce contexte. »
« Aujourd’hui, on ne peut plus dissocier la créativité de la data. »
S’il estime que le directeur marketing est revenu au centre du jeu il y a deux ou trois ans, notamment par le biais du pilotage de l’expérience client, il insiste sur la nécessité pour les agences de se transformer.
« Certaines sont restées dans le monde d’avant. Aujourd’hui, on ne peut plus dissocier la créativité de la data. Une belle idée ne suffit pas, elle doit être bien diffusée. »
Bruno Tallent en revient toujours à l’humain. Dans ses nouvelles fonctions comme dans toutes les structures qui gravitent dans l’écosystème de la communication, il estime que l’écoute, la bienveillance et la compétence sont les mots-clés d’une relation réussie.
« Comme dans un couple, les torts sont bien souvent partagés et le manque d’écoute est souvent le point de départ des conflits ! »